en lien avec l’evenement » Du Levant Espagnol à Oran »
Alicante et Oran sont géographiquement très proches et les flux migratoires entre ces deux villes ne datent pas d’hier. L’événement « du Levant espagnol à Oran » s’intéresse aux migrations vers l’Oranie- destination de choix- et aux spécificités de la population d’origine espagnole dans cette région jusqu’à l’indépendance.
Une longue histoire commune
Présence espagnole au Maghreb de 1509 à 1792
Durant cette période, les expéditions espagnoles en Afrique ont eu deux mobiles essentiels :
– la croisade contre les « infidèles »
– la lutte contre la piraterie des corsaires turcs en Méditerranée occidentale.
Mais les Espagnols n’ont été ni vraiment conquérants, ni colonisateurs. Il s’agissait non pas de pénétrer profondément les régions intérieures du pays mais d’occuper les principales villes des côtes barbaresques et d’y installer des comptoirs stratégiques. Oran est une des villes les plus fortifiées de la Méditerranée.
https://www.youtube.com/watch?v=BqWQM4bcOGA
Cette forme d’invasion et d’occupation à des fins exclusivement stratégiques a d’ailleurs induit des résistances dans certaines régions des tribus locales organisées et structurées.
À partir de 1609 , à la suite du décret d’expulsion des morisques, plusieurs vagues de Morisques vont débarquer à Oran. Considérés comme des ennemis de la religion, bien que convertis, ils n’eurent pas la vie facile . Ceux qui habitaient Ras El Ain et le Ravin Blanc furent expulsés hors d’Oran à partir de 1669 et durent habiter la montagne de La Corniche Supérieure (Misserghin).,
La guerre en Europe et le tremblement destructeur et meurtrier d’Oran en 1790 sonnèrent le glas de la domination espagnole. A la suite de ce terrible événement, le roi d’Espagne Charles IV ne s’intéressant plus à l’occupation de cette ville d’Oran qui devenait de plus en plus onéreuse et périlleuse, entame des discussions avec le bey de Mascara (ouest algérien). Les Espagnols évacuent Oran et Mers El Kebir en mars 1792 et se retirent pratiquement d’une grande partie de l’Afrique du Nord.
Colonisation française de l’Algérie et immigration espagnole
Paradoxalement, c’est la conquête française de l’Algérie à partir de 1830, qui a poussé des espagnols à l’émigration et permis à l’Espagne de laisser une marque nouvelle et plus profonde notamment en Oranie, région qui comptait la majeure partie de la population espagnole d’Afrique du Nord.
Au début, il s’agissait en partie d’émigration saisonnière, puis les familles se sont fixées définitivement. Ce phénomène migratoire devient massif et durable à partir du milieu des années 1860.
Le pic est atteint durant la période 1870-1890 : même si les données quantitatives des documents officiels restent incertaines, on estime que 125,000 espagnols ont débarqué en Oranie entre 1875 et 1881.
A partir de 1890, le mouvement migratoire s’inverse définitivement en faveur de l’Amérique Latine. La Guerre de 14-18 marque un tournant avec pratiquement l’arrêt du courant migratoire espagnol vers l’Algérie. Le solde est même négatif en Oranie entre 1914 et 1936.
Ce mouvement migratoire massif a donné naissance à la collectivité étrangère la plus nombreuse, quoique réduite par les effets de l’assimilation. Sur l’ensemble de l’Algérie, le pourcentage des Français d’origine espagnole (dits « néo ») s’élevait à environ 40 % des 524 000 Européens nés en Algérie en 1931.
L’Oranie en particulier est devenue une terre de peuplement espagnol majoritaire pratiquement jusqu’à la fin de la période coloniale, surtout dans les arrondissements d’Oran et Sidi Bel Abbès.
En ce qui concerne cette région, J.J. Jordi (« Espagnols en Oranie ; Histoire d’une migration, 1830-1914″) avance les données statistiques suivantes, malgré la difficulté d’établir des statistiques précises pour cette période :
-en 1910, il y aurait eu environ 218,000 Français et 93,000 Espagnols en Oranie selon les statistiques officielles mais environ 110,000 Français et 230,000 Espagnols si on gomme de l’effet des loi de naturalisation de 1889 et 1893
-en 1930, il y aurait eu 273,000 Français et 78,000 Espagnols selon les statistiques officielles mais 120,000 Français (y compris les juifs naturalisés par le décret Crémieux de 1870) et 260,000 Espagnols si on gomme de l’effet des loi de naturalisation de 1889 et 1893.
« Pendant très longtemps le caractère espagnol de l´Oranie fut incontestable. À Oran, du portefaix au plus éminent homme d’affaires, tous étaient Espagnols. La plus grande partie des activités économiques leur appartenait y compris la manufacture de cigares, principale industrie locale…On pouvait lire partout, sur les devantures de toutes sortes d’établissements, des enseignes aux noms espagnols, comme Gomez, Carratalá, Ferrer, Fernandez, etc.» (Juan B. Vilar)« »
L’Oranie combinait plusieurs facteurs attractifs :
- la proximité géographique, avec des liaisons maritimes intenses, dès les années 1830/1840, entre Alicante, Carthagène et même parfois des petits ports et Oran.
-le besoin de main-d’oeuvre lié à la mise en valeur coloniale
Causes et origine géographique des flux migratoires espagnols
Les réseaux d’immigration les plus efficaces ont été les réseaux familiaux et villageois. S’y sont ajoutées les activités des capitaines et des patrons de la marine marchande espagnole, des contrebandiers qui ont organisé des passages « clandestins » (tout le monde les connaissait aussi bien du côté du gouvernement espagnol que français, mais on fermait plus ou moins les yeux).
Les raisons principales de ce mouvement migratoire sont les difficultés économiques et sociales dans les régions du Levant espagnol (surtout Alicante) (1) et d’Andalousie, principales régions de départ des migrants vers l’Oranie. Il s’agit essentiellement de journaliers et de petits paysans chassés par le chômage et la misère dans des régions ou domine le système latifundiaire, c’est à dire d’immenses propriétés aux mains d’une aristocratie en grande partie madrilène qui ne se déplaçait quasi-jamais sur ses terres. Les sécheresses et inondations qui y sévissent occasionnellement ne font qu’aggraver leur situation.
Pour Emile Temine, ces migrations d’origine méditerranéenne, surtout la migration des Espagnols mais aussi de celle des Maltais et des Italiens, ont été loin d’être encouragées par les autorités françaises . Ces populations sont même considérées comme indésirables.
Pourtant, ce sont ces migrations qui finissent par l’emporter sur la migration voulue et aidée par les autorités françaises (Français et Européens du Nord) et même par inquiéter ces dernières, surtout lorsqu’elles prennent une dimension massive comme celle des Espagnols à partir des années 1870. L’immigration des Maltais et des Italiens a quant à elle tendance à diminuer ver la fin du XIXème (ils s’installent surtout dans le Constantinois).
Politique de naturalisation et d’assimilation
C’est de là que viennent les lois de naturalisation de 1889 et 1893 qui visent à hâter l’assimilation. Elles établissent la naturalisation automatique sous deux formes :
- d’une part, « les enfants que les étrangers ont eus en Algérie et qui y sont domiciliés, sont déclarés français dans l’année suivant leur majorité s’ils n’y renoncent pas formellement »
- d’autre part, « les enfants nés en Algérie d’un étranger qui y est, lui-même, né, sont aussitôt déclarés français »
Dès lors, la francisation avance à marche forcée et s’accélère au début du XXème et l’Espagne ne fait rien pour la contrecarrer. En effet, peu d’Espagnols entameront les démarches lourdes et coûteuses pour garder la nationalité espagnole. L’objectif de cette politique en Algérie est de créer une terre française. C’est également une des raisons du décret Crémieux qui naturalise les juifs d’Algérie en 1870.
Cette politique de naturalisation a contribué à l’intégration, puis l’assimilation des Espagnols d’Oranie en même temps que trois grands vecteurs : le travail, le service militaire (et la guerre), l’Ecole ; à quoi on peut ajouter les mariages mixtes. La francisation des Espagnols comme celle des autres immigrés européens ainsi que des juifs n’empêche pas chaque groupe minoritaire de conserver un mode de vie hérité de sa culture d’origine.
L’assimilation n’est donc pas en contradiction avec le sentiment identitaire hispanique. L’hispanité d’Oran se manifeste dans la vie quotidienne :
-par l’utilisation courante de l’Espagnol dans la rue
-par les pratiques festives (la présence des arènes témoigne de l’importance de l’influence culturelle hispanique dans la ville : des corridas y sont organisées de la fin du XIXème jusqu’en 1960 avec une période d’interruption entre 1936 et 1954), culinaires (notamment dans la pâtisserie : nougat, mantecaos, mounas), religieuses (pèlerinage au sanctuaire de Santa Cruz sur la colline du Murdjadjo).
Les réfugiés républicains en Algérie
La capitulation de Barcelone en janvier 1939 provoque un flot massif de réfugiés républicains (flot estimé à 500,000) vers la France (Retirada). Après la capitulation de Madrid (mars 1939), des milliers de Républicains refluent vers les ports des côtes levantines (Valence, Alicante, Carthagène et Alméria), seules régions qui ne sont pas encore tombées aux mains des Franquistes. Ils finiront par s’embarquer non pas vers la France mais vers les territoires français d’Afrique du Nord. On estime que 10,000 à 12,000 personnes débarqueront essentiellement en Algérie. On peut considérer qu’il s’agit de la dernière vague migratoire espagnole vers l’Algérie.
http://retirada37.com/lenfer-des-republicains-espagnols-exiles-en-afrique-du-nord/
La majorité d’entre eux sont politisés. Leur arrivée en Algérie est largement improvisée et redoutée par les autorités françaises. La plupart sont enfermés dans des camps provisoires, tout comme en métropole, où les conditions de vie et d’hygiène sont très mauvaises. Le régime de Vichy va largement pratiquer cette politique d’internement après 1940. Une grande partie de ses réfugiés sera utilisée comme main-d’œuvre dans les usines d’armement ou d’équipement ou dans la Compagnie générale transsaharienne, employés à réaliser le vieux rêve colonial transsaharien : relier les mines de Kenadsa, situées au sud d’Oran, aux chemins de fer marocains. Deux mille républicains espagnols et membres des Brigades internationales feront ainsi une main d’oeuvre taillable et corvéable à merci en échange du droit d’asile, ou plutôt d’exil.
Les derniers camps ne seront dissous qu’en avril 1943 à la suite du débarquement des Américains en Afrique du Nord (novembre 1942).
L’exode des Pieds Noirs en 1962
Lorsque l’Algérie obtient son indépendance en 1962, la grande majorité de la population d’origine espagnole a choisi de s’installer en France après l’indépendance de l’Algérie. Le passé tragique de la guerre civile, le régime franquiste et son ouverture économique et internationale encore limitée en 1962 ont sûrement représenté un frein significatif à un exode important vers ce pays. Il faut également considérer que les facteurs d’intégration et d’assimilation cités plus haut ont joué leur rôle dans ce choix.
Malgré tout, plusieurs milliers -peut être environ une dizaine de mille, mais les sources statistiques sont divergentes- ont choisi de partir en Espagne pour tenter de refaire leur vie. La longue histoire des échanges entre le Levant espagnol et l’Oranie explique en grande partie leur installation à Alicante et sa région, notamment l’ascendance levantine (1)d’une partie de ces Pieds Noirs. Il s’agit surtout d’une migration familiale avec prédominance de la population inactive.
La majorité de la population d’origine européenne n’a jamais imaginé qu’elle devrait quitter l’Algérie définitivement. La fuite précipitée, au rythme de 100.000 personnes par jour, fit que la plupart d’entre eux s’en allèrent sans rien et perdirent tous leurs biens.
(1) En Espagne on appelle el Levante la région qui regroupe les provinces méditerranéennes du sud-est du pays (Castellon, Valence, Alicante, Murcie et même Alméria). Elle ne correspond à aucune unité administrative mais elle coïncide avec les zones d'origine de l'émigration espagnole vers l'Algérie au XIXe et au XXe siècle
Illustrations : extraites de l’exposition « espagnols en Algérie- Una memoria grafica » , prêtée par Juan Jamon Roca, enseignant à Alicante en liaison avec l’association lyonnaise » coup de soleil » .